Henri Meschonnic (1932-2009) est l'auteur d'une oeuvre considérable où poèmes, essais et traductions font le continu d'une théorie du langage et du rythme et d'une pratique d'écriture et de lecture pleines de vie l'une par l'autre. Ce blog offre simplement des documents à tous ceux qui de près ou de loin aimeraient continuer avec Henri Meschonnic.

dimanche 31 janvier 2010

Un cahier Henri Meschonnic


Tout le "cahier 1" de la revue Diérèse n° 45, été 2009, est consacré à Henri Meschonnic.
On y lit d'abord des poèmes inédits p. 11 à 31 soit 21 poèmes qui sont à paraître dans le livre Demain dessus demain dessous chez Arfuyen en avril 2010.
Suit une "plainte" de Jeanpyer Poëls (p. 33) puis une courte étude critique sur la traduction et le poème, "La voix de l'autre, l'autre en toute voix" (p. 34-37) de Jean-Christophe Ribeyre (mais les notes de bas de page ont disparu malheureusement) et enfin une note de lecture précise et forte de l'ami Laurent Mourey sur Dans le bois de la langue titrée: "Penser le langage et la langue ou comment distinguer entre sourdes oreilles et ouïes fines, penseurs et dépenseurs-défenseurs" (p. 38-41).

C'est le poème


Ce texte, "C'est le poème", d'Henri Meschonnic ouvre la revue Diérèse n° 37 de l'automne 2007, p. 7 et 8. A ce texte s'ajoutent trois poèmes, p. 55-56-57.
On peut commander la revue à son animateur: Daniel Martinez - 8, avenue Hoche - 77330 Ozoir-la-Ferrière 8 euros + 2;90 de frais de port)

samedi 30 janvier 2010

Théâtre Oracle


"Théâtre Oracle" dans Théâtre/Public, n° 189, juin 2008, p. 4-5. Ce numéro a été "orchestré" par HM. Ce texte en constitue l'introduction.

Parler poème, Henri Meschonnic dans sa voix



Marcella Leopizzi, Parler poème, Henri Meschonnic dans sa voix, Préface de Giovanni Dotoli, Schenia editori / Alain Baudry éditions, 2008, 360 p.
L'ouvrage suit de près tous les livres de poèmes d'HM.
Comprend une série d'entretiens de l'auteur avec Henri Meschonnic réalisés les 16 octobre 2007, 15 janvier, 29 avril, 19 juin et 4 septembre 2008: p. 219-322.

mercredi 27 janvier 2010

Dans le bois de la langue lu par Serge Martin





Compte rendu par Serge Martin sur Dans le bois de la langue, par Henri Meschonnic, Laurence Teper, 2008 (550 p., 29 €) dans Le Français aujourd’hui n° 164, mars 2009, p. 136-138.

Hommage dans Le Français aujourd'hui




dans Le Français aujourd’hui n° 165, juin 2009, 123-125.

mardi 26 janvier 2010

Prix de la traduction pour L'Utopie du Juif en roumain à Dumitru Scorţanu


Remise du Prix Union Latine de traduction scientifique et technique en langue roumaine - Bucarest, Roumanie

Le mercredi 7 juin 2006 à 17h s’est tenu à la Maison des hommes de science la cérémonie de remise du 5e Prix Union Latine de traduction scientifique et technique en langue roumaine.

Le premier prix a été octroyé à Dumitru Scorţanu pour la traduction du livre L’utopie du juif de Henri Meschonic (Utopia despre evreu) publié aux éditions Fides de Iassy.

Le deuxième prix a été attribué à Diana Stanciu pour la traduction du livre Politics in The Vernacular: Nationalism, Multiculturalism and Citizenship de Will Kymlicka (Politica în dialect: naţionalism, multiculturalism şi cetăţenie).

Enfin, le troisième prix a été décerné à Leonte Ivanov pour la traduction du russe de l’ouvrage Aurul lumii: frumuseţi şi celebrităţi.

Hormis les gagnants, ont également participé à la cérémonie, les membres du Bureau de Roumanie de l’Union Latine, les membres du jury scientifique qui ont évalué les ouvrages, des linguistes, des traducteurs et des représentants des médias.

La cérémonie et les entrevues avec le lauréat ont été diffusées par la chaîne de télévision nationale TVR Cultural lors du journal télévisé, ainsi que par la station de radio nationale. Marius Sala, directeur du Bureau de Roumanie de l’Union Latine, a accordé une entrevue à la station de radio nationale et a présenté les activités de l’Organisation, notamment le Prix de traduction scientifique et technique en langue roumaine organisé par la Direction Terminologie et Industries de la Langue (DTIL) de l’Union Latine.

Quelques informations sur le traducteur :

Dumitru Scorţanu s-a născut pe 15 aprilie 1957. Este membru al Uniunii Scriitorilor din România, Filiala Iaşi, secţia traducători.
Dumitru Scorţanu a fost copyeditor la Universitatea Alexandru Ioan Cuza, editor şef la editura STEF din Iaşi, manager de producţie la Polirom, Iaşi. În prezent este General manager la SC Magnum Press SRL(Editura Fides), Iaşi.
Activitatea literară - translaţii
– a publicat 16 titluri din franceză în română
– a fost invitat în 2007 ca translator la salonul "Übersetzerhaus Looren" (Elveţia)
– a fost invitat în anii 2003 şi 2007 pentru două luni de studii în Franţa de către „Centre National du Livre“
– a fost invitat la al 30-lea şi la al 31-lea Salon Internaţional al Traducătorilor de la Belgrad (2005 şi 2006)
– a fost invitat ca translator de către "Centre International des Traducteurs Littéraires" (Arles, France), în 2006, 2001
– a fost invitat ca translator de către "Centre Européen des Traducteurs Littéraires" (Seneffe,Belgium), în 2005, 2002, 2000
– A fost invitat ca translator de către Academia Regală a Literaturii Franceze din Belgia, în anul 2004
Cărţi publicate
Surse de putere in comutatie neizolate cu IGBT, ISBN: 973-9384-74-9, Fides, Iaşi, 2003.
Convertoare electronice. Tehnici MID, ISBN: 973-8930-07-3, Fides, Iasi, 2006.
Convertoare electronice utilizate la cresterea factorului de putere,Fides, Iasi, 2008.
- cărţile au fost publicate cu sprijinul Ministerului Român de Cercetare şi Tehnologie
Cărţi traduse
1. Jacques De Decker, Parade amoroase. Proful de literatura (Parades amoureuses), Fides, Iaşi, 2007.
2. Maurice Carême, Castelul de pe mare. Povestiri inedite. Povestiri insolite, Fides, Iaşi, 2006.
3. Rose-Marie François, Zgura (The Ashes La Cendre), Fides, Iaşi, 2006.
4. Jean Jauniaux, Marea @rca, în colaborare cu Petruţa Spânu, Fides, Iaşi, 2005.
5. Henri Meschonnic, Utopia despre evreu L’Utopie du Juif, Fides, Iaşi,2004.
Premiul I al Uniunii Latine pentru cea mai bună translaţie ştiinţifică din anul 2006 în România şi Republica Moldova
6. André Sempoux, Torquato, prietenul din alte vremuri – Torquato, l’ami d’un autre temps, Fides, Iaşi, 2004.
7. Bluma Finkelstein, Faleza timpului, poeme, Fides, Iaşi, 2002.
8. Camille Lemonnier, Un mascul Un mâle, împreună cu Petruţa Spânu, Fides, Iaşi, 2002.
9. Nathalie Gassel, Eros androgin. Jurnalul unei femei atletice Eros androgyne, Fides, Iaşi, 2002.
10. Lucien Noullez, Poezii, împreună cuPetruţa Spânu, Fides, Iaşi, 2002.
11. Michel Lambert, Ziua cea mareLe Grand Jour, Fides, Iaşi, 2001.
12. Carmen Sylva, Les pensées d'une Reine. Cugetarile unei regine, Fides, Iaşi, 2001.
13. Claude Lévi-Strauss, Rasa si istorie Race et histoire, Fides, Iaşi, 2001.
14. ***, Milinda-panha. Intrebarile regelui Milinda – Milinda-panha. Les questions du roi Milinda, Institutul European, Iaşi, 1993.
15. Marcel Mauss, Eseu despre dar Essais sur le don. Avec une Etude
introductive de Michel Bass, Institutul European, Iaşi, 1993.
16. Emile Senart, Eseu despre legenda lui Buddha Essai sur la légende du Bouddha, Institutul European, Iaşi, 1993.

Les sources du poèmes Meschonnic



Marcella Leopizzi, Les Sources du poème Meschonnic, coll. "Les voix du livre", Alain Baudry et Cie, 2009, 200 P.

Poètes juifs de langue française


Deux poèmes ("J'enveloppe tout ce qui vit" pris à Voyageurs de la voix et "Je ne vois pas des visages" pris à Puisque je suis ce buisson) et une présentation dans Jacques Eladan, Poètes juifs de langue française, 2e édition revue et augmentée (la première édition date de 2004 et comprenait cette présentation et ces poèmes), préface de René-Samuel Sirat, Courcelles-Publisching, décembre 2009, p. 253-257 (le livre est dédié par l'auteur à son épouse et "à la mémoire de mon cher et inoubliable ami Henri Meschonnic")

lundi 25 janvier 2010

HM dans La Licorne

Henri MESCHONNIC

Les documents rédigés par Henri MESCHONNIC dans la revue La Licorne :

  • La ponctuation, graphie du temps et de la voix. Par Henri MESCHONNIC

    (2000) Numéro 52 (ÉPUISÉ) - La Ponctuation

    [ Article non disponible en ligne ]

  • Le théâtre dans la voix. Par Henri MESCHONNIC

    (1997) Numéro 41 - Penser la voix

    [ Article non disponible en ligne ]

  • Le primitivisme vers la forme-sujet.. Par Henri MESCHONNIC

    (1988) Numéro 14 (ÉPUISÉ) - Le travail du biographique

    [ Article non disponible en ligne ]

Septet n° 2 en hommage à HM

Le numéro 2 de la Revue SEPTET en hommage à Henri MESCHONNIC, Traduction et philosophie du langage, vient de paraître.

EDITIONS ANAGRAMMES

REVUE SEPTET

Société d’Études des Pratiques et Théories en Traduction

(Siège social : Université de Strasbourg)

http://septet.u-strasbg.fr

N°2 Des mots aux actes

en hommage à Henri Meschonnic

Traduction et Philosophie du Langage

Sous la direction de Florence Lautel-Ribstein, Présidente de SEPTET

& Camille Fort, Rédactrice-en-Chef de la revue

Avant-propos Camille FORT

Introduction Michel MOREL

Hommage à Henri Meschonnic par Jean-René LADMIRAL

L’enjeu du traduire pour la théorie du langage par Henri MESCHONNIC

Traduction et philosophie par Jean-René LADMIRAL

Traduction, empirisme, éthique par Lawrence VENUTI

Translation as Interpretation par Jean-Jacques LECERCLE

Understanding the Ethics of Alterity par James ARCHIBALD

Walter Benjamin : « La tâche du traducteur », la Reine Sprache et la mystique juive du langage par Francine KAUFMANN

Éloge de l’étranger : Friedrich Schleiermacher en perspectivepar Nadia D’AMELIO

La fidélité par le truchement métalinguistique par Françoise WUILMART

Représentation et traduction : le réalisme en question par Yvon KEROMNES

The Myriad Voices of The Divine Comedy: Its Chinese and European Translations par Laurence WONG

Poète versus linguiste : entre la part de rêve de l’un et le désir de réalité de l'autre, quelle voie pour la traduction ? par Véronique ALEXANDRE JOURNEAU

La liberté du traducteur et la fidélité au texte poétique :

quelques visées philosophiques sur la traduction des poésies de langues asiatiques par Julie BROCK

Moi et Corps/Esprit/Monde : quatre concepts philosophiques du langage de Paul Valéry et leur traduction contextuelle allemande par Jürgen SCHMIDTRADEFELDT

La question de la traduction au Japon ou comment traduire en japonais le mot-clef du valérysme "Esprit" par Kunio TSUNEKAWA

Le Cimetière marin en espagnol : entre traduction(s) poétique et /ou philosophique par Monique ALLAINCASTRILLO

--------------------------------------BULLETIN DE COMMANDE-------------------------------------

Parution en juillet 2009. 452 pages. Prix de vente : 32 € (frais de port compris).

Règlement par chèque à l’ordre de SEPTET ou pour l’étranger par virement bancaire sur le

compte de SEPTET :

Titulaire du compte : ASS SEPTET

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Agence : METZ CLERCS (00024)

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BIC / SWIFT BPLMFR2M)

à adresser accompagné de ce bulletin à la Secrétaire de SEPTET :

Emilie FAIVRE, 41, rue Lamendin, 62580 Givenchy-en-Gohelle

Nom et Prénom :

Adresse :

Téléphone : Courriel :


http://septet.u-strasbg.fr/stuff/SEPTET%20annonce%20Revue%202%20Traduction%20et%20philosophie%20du%20langage.pdf

SEPTET

Société d’Etudes des Pratiques et Théories en Traduction
Société de spécialité SAES
Comité scientifique (ordre alphabétique)
France
Yves BONNEFOY (Collège de France)
Jean-Jacques CHARDIN (Université de Strasbourg)
Yves CHEVREL (Université de Paris IV-Sorbonne)
Jean-Michel DEPRATS (Université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense)
Claire JOUBERT (Université de Paris VIII)
Jean-René LADMIRAL (Université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense et ISIT-Paris)
Jean-Jacques LECERCLE (Université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense)
Jean-Yves MASSON (Université de Paris IV-Sorbonne)
Henri MESCHONNIC
(Université de Paris VIII)

samedi 23 janvier 2010

Henri Meschonnic et sa traduction de la Bible

Henri Meschonnic et sa traduction de la Bible

Par David BANON

(dans Information juive Extrait du N°289 - Avril 2009)

Notre ami Henri Meschonnic est mort le 8 avril des suites d'une leucémie. C'était un homme gai, généreux et enthousiaste. De nombreuses études seront sans doute consacrées à son oeuvre de poète, de linguiste, d'essayiste. Dans l'article qui suit David Banon qui fut un de ses amis rend hommage à la mémoire du poète et se penche sur la traduction qu'il a faite ces dernières années du Pentateuque.

Au moment où l'on m'a annoncé la triste nouvelle du décès d'Henri Meschonnic, de nombreux souvenirs sont remontés à la mémoire. Et d'abord celui de notre première rencontre, le jour de ma soutenance. Des yeux mobiles et vifs qui cherchaient à aller au-delà de l'apparence pour sonder l'être, un sourire franc qui illuminait le visage, une tignasse à la Ben Gourion qui lui donnait un air de yéchiva bouher et cette voix douce mais non complaisante qui, telle un radar, détectait les lacunes du travail...

Avec les deux autres grosses pointures du monde académique, Emmanuel Levinas et George Steiner, ils m'avaient soumis à un feu nourri de questions pendant plus de quatre heures. J'essayais de me défendre de mon mieux. J'eus même l'audace d'émettre une critique. J'ai alors entendu Meschonnic souffler à Levinas la remarque suivante " ce jeunot veut nous apprendre notre métier. " Ce que j'ai qualifié d'audace était, en fait, de l'insouciance, voire de l'insolence. Je l'appris à mes dépens lorsque avec le temps j'ai découvert l'ampleur de l'oeuvre d'Henri Meschonnic. Une entreprise monumentale, pour une fois l'adjectif s'impose.

Linguiste hors pair, polyglotte, traducteur, essayiste redoutable, poète, philosophe et écrivain au sty- le alerte et inimitable, il était tout cela à la fois. Dans ce monde où règne le cloisonnement des spécialités, Meschonnic détonait par son aptitude à embrasser de multiples domaines des sciences humaines et à les maîtriser. Une sorte d'humaniste de la Renaissance. Il n'hésitait pas à se lancer dans des projets grandioses qui requièrent plus d'une vie. Ainsi sa traduction de la Bible.

Ce n'est pas une traduction-annexion. Celle qui transporte l'hébreu biblique vers le français, la langue d'arrivée, en effaçant tout ce qui caractérise la langue de départ. Ni celle du mouvement inverse, une traduction-calque, qui se donne comme l'effort d'amener l'hébreu au lecteur français au prix d'une violation de la langue française.

Meschonnic rejette dos-à-dos ces deux pôles de la traduction qui occultent le signifiant au détriment du signifié - envahissant tout, prenant toute la place. Il privilégie non pas une transposition de sens à sens ou une translation de langue à langue, mais un rapport. " Non plus un transport, mais un rapport(1). " qui conduit à un décentrement textuel et culturel accordant le primat non pas à l'étymologisme ou à la signification mais à la poétique dans le sens de fonctionnement du texte : à l'architecture des versets, à leur structuration, à leur signifiance tout en faisant passer dans le français des tour[nure]s de l'hébreu.

Pour ce faire, il ne traduit pas le sens des mots. Il ne prend pas le parti du signe qui est duel, binaire, discontinu. Il ne traduit pas chaque mot selon son sens. Un après l'autre. Ni même un verset après l'autre. Il adopte le parti pris du discours, du texte, de l'ensemble, du continu. Car la Bible est un ensemble, un livre unique, et elle gagne à être éprouvée comme tel.

On l'aura compris, ce n'est pas une traduction littérale. Une version mot-à mot. Ou selon le néologisme créé par Meschonnic une traduction qui “motamotise”(2). Il dépasse, cela va sans dire, le choix qui s'offrait aux scolastiques et qui les a divisés : ni ad verbum, ni ad sensum. Ni les mots, ni le sens. Là, l'unité du langage n'est pas le mot-fût-il reconduit à sa racine et aux indications fournies par ses dérivations au sein d'autres passages-mais le verset qui est plus qu'une partie du discours ou une lexie. “L'unité du langage dans la Bible c'est le verset. C'est dire qu'elle n'est pas grammaticale. Ce n'est pas la phrase, c'est le verset et le verset est une unité rythmique.(3)” D'ailleurs verset se dit, en hébreu, passouq qui signifie “coupé”. L'accent ou ta'am qui marque la fin du verset s'appelle sof passouq, fin de verset. Le rythme est donc bien ici l'organisateur du discours, du texte. C'est pourquoi cette traduction “donne à entendre l'hébreu du poème et le poème de l'hébreu(4)”. En quoi faisant ? “En rendant le texte massorétique scrupuleusement” C'est-à-dire “rythmiquement, syntaxiquement, prosodiquement ( 5)“. Au demeurant, cette restitution désacralise le texte biblique, le “débondieuse”, (encore un néologisme de Meschonnic). “Débondieuser n'est pas un sacrilège… c'est peut-être même plutôt rendre leur force à ces textes”(6). Par le biais de la rythmique.

C'est un système extrêmement codifié, hiérarchisé, d'accents disjonctifs /conjonctifs. Le jeu de ces accents, appelés té'amim -gustèmes ou rythmèmes-peut ramasser des termes dont le rapprochement est un élément du sens, comme la séparation est un élément de leur sens.

Le trait de génie de Meschonnic est d'avoir rendu la complexité de ce système rythmique, qu'on limite faussement à la cantilation, par des blancs internes au verset. De l'avoir matérialisé par la typographie. D'avoir recréé par les blancs, les silences du texte, sa respiration, et le rythme qu'on lui imprime pour organiser la lecture publique. Et, par là même, d'avoir dégagé les unités logiques et sémantiques du verset. Avec la césure (le atnah : la pause) qui partage le verset en deux parties pouvant être égales ou inégales. Césure marquée par un alinéa intérieur au verset. Ce sont donc les blancs qui jouent le rôle de ponctuation. Qui restituent ce que le poète et bibliste Gerard Manley Hopkins appelle “le mouvement de la parole dans l'écriture”. Qui marquent les pauses, balisent la lecture et conduisent déjà sur la route du sens.

La typographie visualise l'oralité. Dimension juive par excellence de la Bible appelée miqra : lecture. Ou mieux énonciation. Effectuée par un sujet vivant, présent. Elle est à distinguer, par conséquent, du récit et de l'énoncé qui éliminent le sujet. Comme si elle cherchait à obliger le lecteur à lire le texte à voix haute. Ce récitatif est la trace d'une oralité première que Meschonnic souligne avec insistance. L'énonciation ou récitatif est une poétique-c'est-à-dire une modalité de fonctionnement du texte hébreu.

Et Meschonnic n'est pas seulement attentif à ce système qu'il est le premier et le seul à intégrer à la traduction. Il ne néglige aucun détail du texte massorétique. C'est ainsi qu'il rend tous les " et/vé " qui sont généralement escamotés, non seulement parce qu'ils sont logiques ou grammaticaux, mais surtout, parce qu'ils sont rythmiques. De même que les expressions idiomatiques. Et les temps auxquels il veille soigneusement. Plus exactement les aspects : l'accompli, l'inaccompli et le participe présent qui sont les "temps" de l'hébreu biblique. Sans oublier les valeurs des mots : les significations qu'ils acquièrent dans leurs différents contextes.

Malgré ses dénégations et sa volonté de se tenir à distance de l'exégèse rabbinique et de l'herméneutique en général, dénégations qu'il ne cessait de répéter dans sa correspondance, il utilisait très judicieusement les commentaires de Rachi pour la sémantique et ceux d'Abraham Ibn Ezra pour la syntaxe. Ses notes y renvoient à chaque difficulté.

Pour toutes ces raisons, nous sommes reconnaissants à Henri Meschonnic d'avoir ouvert la brèche afin de faire entendre dans le monde académique le signifiant juif qui en a été excommunié. Nous sommes un certain nombre à nous y être engouffrés en essayant de poursuivre la tâche...avec nos moyens.
Puissions-nous être à la hauteur.

(1) Jona et le signifiant errant, Gallimard,
Paris, 1981, p.38
(2) Gloires. Traduction des Psaumes, DDB,
Paris, 2001, p.18 ; voir aussi Un coup de Bible
dans la philosophie, op. cit., p.175.
(3) Un coup de Bible dans la philosophie, op.
cit., p.237
(4) Gloires, p.42
(5) Gloires, p.38
(6) Gloires, p. 20

Heidegger, ses mots, son langage, selon H. Meschonnic

Dans Multitudes, futur antérieur 7, automne 1991

Mise en ligne le jeudi 22 mai 2003

Il s’agit, jusque dans la philosophie, de savoir (et de savoir comment savoir) ce qu’on fait des mots.
Henri Meschonnic, Le langage Heidegger, PUF, 1990, p. 21.

Le langage Heidegger est un livre situé. Au sens de la phrase liminaire de Max Jacob - "Tout ce qui existe est situé" - dans sa Préface de 1916 au Cornet à dés. Et le point de vue qui situe ce livre est celui du langage [1]. Ce livre montre la solidarité interne des conséquences de la tenue du point de vue du langage sur la pensée de Heidegger, sur le temps, sur la poésie et l’art, sur la technique. II y a la recherche d’un comment pour organiser ce point de vue, et c’est l’exploration de ce comment qui fait la méthode du livre. C’est cela sa situation. Ni lecture immanente, ni lecture transcendante, mais une lecture située [2]. C’est-à-dire une lecture, un mode de lecture, à l’opposé de l’hypothèse de Fink pour qui c’est "le problème qui détermine le sens des méthodes" [3], alors qu’il y a "réversibilité dans l’effet l’un sur l’autre du problème et de la méthode" (p. 38). Ce qu’on voit dans un des paradoxes majeurs de Heidegger qui "s’attachant à méditer sur la pensée (...) se trouve à méditer sur le langage" donnant donc "d’autant plus d’importance à son statut" (p. 339). Puisque c’est une pensée qui travaille assez spécifiquement dans -mais sans doute pas sur - le langage. Le paradoxe se poursuit en retour de la méthode, ou de ce qui en tient lieu, dans la pensée : "c’est le langage qui détermine cette pensée, dans la mesure de ce qu’elle en a fait" (p. 339). Ce qu’Heidegger fait du langage, et du temps [4], est le chemin que suit la méthode du Langage Heidegger dans ce qu’il fait de la pensée de Heidegger. C’est pourquoi c’est un livre sans fascination, ni rejet, pas un livre sur Heidegger, mais un livre "à travers Heidegger" (p. 5). La fascination ne dit rien, mais le rejet ne fait rien. Le même oubli du langage les enveloppe. L’impensé du problème est nécessairement un impensé de la méthode. Et s’il n’y a pas une méthode Heidegger, il y a bien un "comment il n’y a pas de méthode" - le langage Heidegger. Heidegger veut toujours être au-dessus ou au-delà, mais il est au-dessus dans le langage. Difficile d’adresser la question du comment à l’au-dessus en tant que tel, mais il est possible de l’adresser à la manière dont cet au—dessus est dans, si c’est dans le langage. Le langage Heidegger est donc la situation de la pensée Heidegger dans le langage. Le livre montre parfois comment Heidegger pense ou essaie de penser contre son propre langage, au sens, par exemple, où ce qu’il fait des mots ne dit pas la même chose que ce que dit l"énoncé. Mettant la philosophie dans le langage, dans une idée du langage, il met aussi le langage dans la philosophie.

L’essentialisation d’abord et encore

Un des modes de signifier principaux de la pensée Heidegger, qui précisément la transforme en langage Heidegger, est l’essentialisation. Elle a ses variantes, ses figures. C’est par l’essentialisation du langage qu’elle passe, et ce "jeu de langage porte les termes à la fois vers leur abstraction maximale et leur patrie mystique" (p. 172). Elle veut produire une transcendance en inversant "la question de l’essence de la vérité" en celle de "la vérité de l’essence" comme le pense Heidegger [5]. Et l’essence puise sa transcendance dans l’origine, infinitisée car "inversant le commencement dans un pas encore" p. 50 de l’histoire de l’être. On voit que l’essentialisation sépare Histoire l’apparence racontée, et Geschichte liée au destin collectif (Geschick). C’est pourquoi elle est la "figure du destin dans le langage" (p. 173). L’empirique, la matière de l’empirique y est ce qu’on doit vaincre, de toute façon inessentiel, de la même façon que "les guerres mondiales restent superficielles" (Questions I, p. 191, cité p. 173) en comparaison du polemos du fragment 53 d’Héraclite, analysé par Heidegger comme "ce qui seul fait apparaître les Dieux et les Hommes, les Libres et les Esclaves, dans leur essence respective" (id.). C’est en ce sens que l’un des retournements majeurs chez Heidegger est que "l’essentialisation du combat est une figure essentielle de l’essentialisation" (p. 173). Combat vers le sublime, le superlatif, l’absolu. Où "la lutte est essentielle et l’essence une lutte" (p. 170). Le dire superlatif, le dire le plus, le plus vers l’essence, le plus l’essence, est la nature même du dit. Et le Selbst, entrant dans le paradigme de l’auto-affirmation, de l’auto-méditation, de l’auto-détermination [6], devient "superlatif absolu du sich dans le champ de la décision et de la détresse, qui est celui de la solitude" (p. 171). Solitude et destin, solitude et décision. Décision absolutisée par intransitivisation : c’est la décision, et non plus la décision de Eric Weil, qui disait, en 1947, "décision vide, décision à la décision" [7]. Ce qui fait que "l’essence est elle-même essentialisée, absolutisée" (p. 174). Décision, ou refus, sans complément, sans objet. Henri Meschonnic note que c’est par ailleurs la caractéristique spécifique d’un aspect de l’époque, le souci, l’angoisse, la mort, dans leur résonance expressionniste. Mais le type d’intériorisation intransitive de Heidegger essentialise le sujet lui-même dans les mots de l’essence.
Dans le langage, c’est bien sur les mots que porte l’essentialisation. Mot isolé, le On (das Man), le pas-encore (das Nochnicht) et le là : "Par l’ouverture, l’étant que nous appelons Dasein est dans la possibilité d’être son là" [8]. La substantivation travaille à l’intérieur du terme "en motivant séparément ses deux éléments, le retirant par là-même à son sens empirique - et à sa traduction coutumière, antérieure, par ’existence" [9]. Cette opération d’essentialisation retourne le sens des notions qui apparemment la combattent, et même dans le cas où Heidegger prend en compte positivement ces notions. C’est le cas du dialogue. "Nous sommes un dialogue" dit Heidegger (cité p. 357), et il accentue un dans la mesure où la parole dans le dialogue doit "rester relative à l’Un et au Même" et cela relié à "la nomination des dieux" (cité p. 358). C’est l’unité qui domine le sens, et le mythe derrière elle, enlevant toute valeur linguistique au terme dialogue [10]. Et il est vrai que le tu est particulièrement absent chez Heidegger. Son dialogue monologue. De même, à cette unité transcendante de l’essentialisation qui touche à tout, correspond le ton et la volonté du sublime - défini comme "tenant l’un dans l’autre le caché et le révélé dans une relation où le langage est oracle" (p. 183) - qui voisine lui-même avec le sacré, dans ses deux sens possibles, union des contraires et "continu entre les forces cosmiques et le langage" (id.) ; tout est au-dessus dans le langage Heidegger, tout est méta, par un mode sacré de relation des mots et des choses : "Le mode de langage ne se juxtapose pas au monde. Il le porte, il l’élève (...). C’est pourquoi à la fois il peut être dit non-nazi et hyper-nazi. Il est au-delà et il l’inclut. Il le sublime ; Méta-nazi" [11]. L’historique n’est que contingence. Seul ce qui est au-dessus est essentiel parce que ce qui est essentiel est essentiellement au-dessus.

Sens et histoire

L’étude de l’essentialisation montre qu’elle est l’aspect langagier de l’histoire de l’être. Comme conséquence de l’ontologie qui exerce la plus grande pression, une violence, sur tous les autres aspects de la pensée. Tout vient de l’être et tout y retourne. Mais dans un paradoxe encore. Car, logiquement, on ne peut rien dire sur l’être puisqu’il faudrait un prédicat "plus général que l’Être même" alors que l’être précisément "est-ce qu’il y a de plus général" [12] dit Heidegger lui-même. Pourtant il y a du sens, mais réservé : "Seul le là-être a le sens et peut donc être "sensé" ou "insensé" (...) - et ce dans la mesure où dans Être et temps le sens "précède le langage" (p. 187). Il y a donc avant toute chose le "sens de l’être" (id.). Et même si la notion d’être est malaisée, comme le remarquait Henri Birault [13], elle produit malgré tout la convergence de tout ce qu’elle élimine, l’altérité, le discours,Rede qui devient Gerede, bavardage ou parlerie [14], et qui vide la vie et l’histoire de l’homme de tout sens, malgré la protestation d’humanisme. C’est un humanisme de haut. Le sens de l’être est partout la mesure, mais il n’y a nulle part de réflexion sur "l’être du sens" (p. 17), comme si le sens du sens était une question inaperçue. L’être est assimilé à l’authentique [15] tandis que sont rejetés dans l’inauthentique le culturel, l’anthropologique, les sciences humaines, l’Aufklärung. L’inauthentique est l’actuel qui n’est que déclin. Sens et histoire, parlerie et culture sont le déclin de l’être, leur sort et un sens fixé et leur sens un sort fixé [16]. On ne peut donc pas, comme Habermas le suggère, dire que c’est l’échec du national-socialisme qui entraîne la conception fataliste de l’histoire de l’être (p. 113). Être et Temps le montre déjà, il n’y a de sens et d’histoire que de l’être. Mais ce fatalisme passe de "la destination commune (Geschick)" incluant le politique, à la victoire spirituelle du peuple des penseurs et des poètes, qui déplace et transcende le politique" (id.). C’est la dimension "préalable (p. 13) du Dasein, son aspect d’orientation anti-historique et méta-historique.
Le "tabou dans le tabou" (p. 116) qu’est l’antisémitisme de Heidegger peut alors sortir de l’impasse biographique. Ce n’est justement plus l’antisémitisme de Heidegger qui s’analyse, mais le lien entre le statut d’allusion du problème - pas de grossièreté explicite directe là encore dans les livres - et le statut du silence, compris dans deux directions convergentes. Il y a un "dire sans dire" chez Heidegger qui n’est pas un "non-dire mais un toutest-dit" (p. 122). D’abord, dans la coïncidence historique des mots de Heidegger et des mots des autres, Volk et völkisch par exemple - mais aussi régénération qui suppose dégénérationnote, parmi d’autres, Henri Meschonnic. A partir de 1862 puis 1871, le mot Volk prend une "charge polémique qui n’est pas ditepar le mot" (p. 126), charge anti-française, anti-Aufklärung, et surtout le terme se charge du concept de race [17]. Le mot a "absorbé du nationalisme et du racisme". Ce n’est plus la peine de le dire. Ensuite le silence lui-même a un statut dans Être et Temps, c’est un "mode de la conscience" (p. 166) et du parler - "La conscience parle uniquement et constamment sur le mode de se taire" (par. 56, p. 273). J’en retiens que les ambiguïtés de Heidegger, son silence "après", trouvent leur sens auprès de ceux à qui il fait appel, qui peuvent comprendre, se taisant avec lui. Ce silence parle. Pas directement. Mais par-dessus le sens et l’histoire. Le sens, et le sens de l’être, sont toujours autre chose que ce qu’en disent ceux qui n’ont pas l’être, puisqu’il est aussi bien symétrique du rien, du néant [18]. Hors sens et hors histoire, ne reste que la pureté de l’être - "L’histoire de l’être est l’être lui même et seulement cela" (Nietzsche, cité p. 210). Autre paradoxe me semble-t-il qui montre l’être tellement au-dessus et en dehors du sens et de l’histoire, qu’il semble le retirer de toute menace, et ne laisser au sens et à l’histoire que d’être la circularité d’une menace pour eux-mêmes.

Langage et temps Heidegger

Théorie du langage et théorie du temps ont un lien d’implication réciproque. C’est une des découvertes du livre. Henri Meschonnic part de Benveniste qui a montré une "temporalité produite par l’énonciation" (p. 217) au sens où "dire je n’est pas seulement accomplir l’énonciation, mais réaliser le présent comme langage" (p. 218). Il semble que cette intuition, dans un autre contexte, ait été celle de Saint-Augustin qui, dans ses Confessions, (XI, 23), ne reconnaît qu’un temps, le présent, et lié au langage [19]. Car, pour Saint-Augustin, les choses vraies racontées ne font pas sortir de la mémoire "les choses ellesmêmes, qui sont passées, mais les mots conçus à partir de leurs images" (Confessions, )XI, 23 - cité p. 220. C’est la rupture fondamentale avec le temps continu, mesuré, défini par l’espace qu’on trouve chez Aristote [20] ; Mais on voit que Heidegger fait, lui, retourner le temps à l’espace par la "spatialité originaire du làêtre" (Être et Temps, par. 26, cité p. 237), par sa définition du vectorisation, par ses poétismes à sémantisme spatialisant - "habiter la maison de l’être". L’historicité est rejetée du temps par l’alliance du Schicksal, "destin comme temporalité" (p. 246) et du Geschick, "destin comme historicité envoyée" (id.) ; Même lorsqu’Heidegger donne apparemment le primat au temps - "la temporalité constitue l’être du là-être" (cité p. 248) -, c’est un déni de temporalité par le renvoi au Dasein, qui lui est décision et destin. La temporalité ne peut attendre que l’être, c’est-à-dire ce qui ne peut pas se dire, c’est-à-dire ce qui se dit tout seul. Le Dasein fonctionne comme un "méta-sujet de l’histoire, ou d’une méta-histoire" (p. 249) ; ainsi : "Temporalité et historicité se fondent dans le destin comme l’individu dans la communauté. C’est le passage du Schicksal au Geschick où le préfixe gedevient allusion au rassemblement de sens, de l’histoire et du peuple en un" (id.). Et c’est le travail des signifiants qui, diversement, mais toujours dans une convergence and-temporelle montre le primat d’un temps de l’être contre une temporalité historique et subjective : l’Anwesenheit est poussée vers un "présent au senslocal" (p. 252), un être là opposé à absent - ou encore l’Ereignis voit l’élimination du sens d’événement, temporel, par "le rapprochement avec eigen" (p. 257) [propre, authentique] et donc avec l’ontologie fondamentale d’un destin décisionnaire et tragique.
Beaucoup, donc, passe par les signifiants. Langage Heidegger, langage à tout faire. A tout faire parce que j’y vois le sens de l’épigraphe de Spinoza qui ouvre le livre, où on peut nier ou affirmer des choses "parce que la nature des mots supporte ces affirmations et ces négations, mais non la nature des choses" (Traité de la réforme de l’entendement, )cité p. 5. Mais précisément, le langage ne peut pas tout faire. Ou c’est de la langue qu’il s’agit, lieu de l’être, à l’écart de la parole au sens de Saussure. La trace historique la plus visible en est l’abandon même du concept de Rede, quelle qu’en ait été la théorisation par ailleurs, de Sein und Zeit à Unterwegs zur Sprache. Ne reste que la langue, Sprache [21]. Et la langue "est une pensée du est",c’est la disparition même du sujet, du je - en linguistique, chez Benveniste, la 3ème personne est une non-personne [22]. A la place du sujet, il y a l’étymologie, le mot - A. Kelkel a déjà remarqué "la méthode d’analyse étymologique en guise d’analyse conceptuelle" [23]. L’étymologie s’auto-vérifie sans contraintes autres que celle du renvoi à l’origine supposée. Et cette origine, liée à l’essence, est dans le mot. Car la vérité d’un mot, chez Heidegger, "peut se trouver dans le mot lui-même" (p. 297) assurant par là que la théorie du langage est bien réduite au champ de la langue. Il n’y a d’ailleurs que deux langes pensantes, l’allemand et le grec. Le reste est déclin, passage du grec au latin par exemple. D’où Heidegger tire le raisonnement - mais ce n’est pas un raisonnement, encore moins une argumentation - qu’il "n’y a pas de mot pour", pour tel concept grec dans une autre langue. Ce n’est pourtant que l’illusion obtenue par le transport de l’observateur dans la langue observée remarque Meschonnic. De plus, c’est toujours par l’allemand qu’on voit qu’il n’y a "pas de mot pour" et qu’il finit par y en avoir un, en allemand justement. Comme dans la traduction-commentaire du chré, chez Parménide, par "il est d’usage", c’est-à-dire "un certain tour de main, vers lequel on s’est toujours tourné vers ce qui est manié (Gehandhabte) de manière à respecter son être, et par là de façon que le maniement (Handhabung) le fasse apparaître" (cité p. 312). Autrement dit, "la formule du sens est allemande" ce qui induit un paradoxe nouveau : "cette pensée qui veut penser la pensée, pense le mot. Par quoi elle dissocie l’essence de l’universel" (p. 311). L’essence est allemande - même le grec se soumet au sens allemand dans le labyrinthe étymologique [24]. L’aventure exemplaire de l’aletheia prend son sens dans cette réduction autorisée par la position première de Heidegger, le réalisme logique - les mots à la place des choses - tenue dans les livres de jeunesse, Traité du Jugement dans le psychologisme (1914) et la thèse de 1916 sur Duns Scot [25]. Heidegger lui-même reconnaîtra que l’étymologie, et le sens, de l’aletheia commeUnverborgenheit (dévoilement, hors retrait propose Martineau) n’est pas tenable. Mais Jean Beaufret poursuivra cette étymologie dans une sorte de "scène primitive" située au vers 93 de l’Odyssée [26]. Voulant maintenir le sens de découvrement de la vérité, il dit qu’Ulysse verse des larmes aux yeux de tous mais qu’on ne le voit pas, pour maintenir qu’aletheia est "l’ouverture même du domaine où tout se montre à découvert" (cité p. 317. )C’est une projection de sens, car aletheia est bien dans le champ sémantique de la vérité opposée à mensonge [27]. La langue est une projection d’elle-même sur elle-même qui fait apparaître l’essence rêvée et réalisée. Le mot se signifie lui-même à travers son signifiant, tourné vers l’allemand.
C’est donc ce qu’est l’invention conceptuelle elle-même qui est en cause dans ce livre et à travers Heidegger. Contre la néologisation systématique de Heidegger, avec Bergson et Benveniste, Meschonnic la pense non comme "travail dans les mots"mais comme travail sur ce qui n’a pas encore de nom" (p. 380). On peut inventer avec des mots simples. L’unicité de l’historicité d’un texte s’y retrouve. Heidegger invente dans le signifiant du mot, mais répète à côté une conceptualité ordinaire. C’est encore le rapport du mot et du concept. La modernité cherche des conceptualités nouvelles et a mis l’historicité de l’art et du langage au premier plan. Conjointement, la recherche va vers "la longue durée de l’histoire de l’historicité" (p. 392). Parce que toute conceptualisation, ou tension vers le conceptualisable, trouve en chemin la question de l’historicité linguistique des concepts comme indissociable de celle des problèmes qu’ils découvrent.

[1] Langage est pris par Henri Meschonnic, dans une continuité avec Saussure, comme "système (...) des modes de signifier qui tient l’un dans l’autre, l’un par l’autre le sujet et le social, l’historicité radicale et la spécificité, la pluralité du faire sens, inséparablement poétique et politique. En ce sens, la théorie du langage (terme de Saussure) est une anthropologie historique du langage (...)", Le langage Heidegger, PUF, 1990, p. 18. Désormais je n’indique que la page entre parenthèses.

[2] A propos du lien d’Heidegger avec la nazisme, qu’Eric Weil, à raison, refusait de voir dans une relation causale directe (on ne peut pas "déduire" le nazisme de Sein und Zeit), mais pour, lui, sauver corrélativement l’existentialisme de Heidegger, Henri Meschonnic note au contraire : "Il ne s’agit ni de déduire, ni de "réfuter", mais de situer." (p. 174).

[3] Eugen Fink, De la phénoménologie, Minuit, 1966, p. 200, cité p. 38.

[4] Solidarité des deux, car "le sens du sens et le sens du temps sont un seul et même sens", et ceci puisque "du langage on a la représentation qu’on a du temps (...) et du temps celle du langage" (p. 5). C’est un des axes du livre. Voir plus loin.

[5] Martin Heidegger, De l’essence de la vérité (1943), dans Questions I, p. 191, cité p. 173.

[6] Selbstbehauptung, Selbstbesinnung, Selbstverwaltung, cité p.170. Je proposerais plutôt "auto-administration" pour Selbstverwaltung, à cause du sens politique d"’autodétermination".

[7] Cité p. 174.

[8] Heidegger, Sein und Zeit, par. 79, cité p. 176.

[9] Le langage Heidegger, p. 176. D’où la traduction proposée, le là-être pour le Dasein.

[10] C’est à l’opposé de’ la conception du dialogue de Humboldt et de Benveniste remarque Meschonnic. Conception humboldtienne que Jürgen Trabant décrit comme la découverte que "le langage (et par là nécessairement la pensée) se tient toujours - plein de désir - en rapport avec le tu, que le parler ensemble est simultanément un comprendre et un ne pas comprendre, qu’il n’est pas la transmission d’une matière comme nous le suggèrent tout le temps tous les modèles de la communication, mais au contraire qu’il n’est qu’une impulsion de l’autre pour, de son côté, produire en lui-même la matière, qu’il est une mise en mouvement d’un autre jeu sur les cordes de la lyre (...)", "Rhythmus versus Zeichen - Zur Poetik von Henri Meschonnic", dans Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Stuttgart, Steiner, Band C, 1990, p. 209. Je traduits.

[11] Le langage Heidegger, p. 184. Henri Meschonnic montre un paradigme du méta résultant du statut du langage et de la pratique du langage chez Heidegger. On a un statut méta-linguistique de la langue (261), un métahumanisme (201, 203), du méta-historique (209), une méta-langue (329), un méta-poème (349),. Je note le tiret de non-union des deux mots dans tous ces termes et y vois une valeur d’écriture et d’analyse liée à ce double mouvement particulier qu’est le méta chez Heidegger "à la fois en dehors et au-dessus des valeurs" (p. 214). Il faut donc distinguer métalinguistique, concept dans lequel il y a du linguistique inclus, au sens de termes du langage pensant le langage, et méta-linguistique, au-dessus et en dehors du langage - et qui autorise conjointement le mépris de Heidegger pour la linguistique et la philologie. Mais on trouve aussi méta-politisation (p. 172), sans tiret, car là, le terme désigne le type de réalisation opérée par les termes de Heidegger comme l’indique le suffixe du procès dans le mot. Il y a par contre du méta-politique (p. 13). Métapolitisation, comme concept de ce que réalisent les termes dans le langage Heidegger - méta-politique, comme concept du résultat de l’essentialisation généralisée réalisée par les terme dans leur travail de substantivation.

[12] Heidegger, Nietzsche, Gallimard, 1971, tome II, p. 169, cité p. 197.

[13] Henri Birault, Heidegger et l’expérience de la pensée, Gallimard, 1978, cité p. 195. Il y est noté une multitude de valeurs de l’être : le Abgrund, l’Ereignis, le Sein barré, la substantialité de la substance par exemple. Tout cela ensemble.

[14] Henri Meschonnic rappelle et reprend cette traduction de Gerede à Lévinas (dès 1932) pour garder l’aspect péjoratif (cf. 190).

[15] Notion qui vient de Husserl, des Leçons sur le temps de 1905, prise elle-même à la psychologie de Brentano, et qui désigne l’expérience "intuitive et définitivement adéquate" (cité p. 190).

[16] Uri aspect essentiel de l’historicité selon Henri Meschonnic est dans la solidarité du sens et de l’histoire, traitée historiquement et linguistiquement : "Le sens est une disposition d’histoire. L’histoire est une disposition de sens",la rime et la vie, Verdier, 1990, p. 20.

[17] D’où l’appréciation de "fausse querelle" à propos de la traduction de völkisch, car c’est "une question de concept pas de mot" (p. 135). Dans un autre contexte, Edgar Mass confirme tout à fait le problème lorsqu’il évoque la rédaction de la loi constitutionnelle fondamentale de la R.F.A. naissante, en 1948, en plein blocus de Berlin : "(...) la notion même de "peuple" était devenue suspecte, ayant appartenu au jargon nazi, à la L.T.I., la Lingua Tertii Imperii, comme Viktor Klemperer l’avait baptisée. Les mots de Volkskammer, Volksbefragung, et Volkssouveränität avaient des connotations de jadis, comme le Volksgerichtshof ou le Völkischer Beobachter.", dans "Montesquieu et la loi fondamentale de la R.F.A.", Montesquieu et la Révolution, Dix-huitième siècle, PUF, 1989, n° 21, p. 174.

[18] Substantialisation symétrique du rien, à côté de celle de l’être, note Meschonnic (p. 197). Sur le réalisme du rien, le néant comme essence réalisée dans le langage, l’analogie avec le catharisme, voir pp. 383-388

[19] Même référé au présent de "la sagesse de Dieu", à l’éternité, Henri Meschonnic y voit le paradoxe de "formuler d’avance le fonctionnement ordinaire du je dans le langage" - et ceci parce que "l’énonciationréénonciation / est / le seul équivalent-temps de cet aujourd’hui éternel" (p. 220).

[20] Aristote, Physique, livre IV, chap. 10-14, cité p. 216.

[21] Sur cette question capitale l’analyse fouillée (pp. 284-286) des diverses traductions en français de Sprache (de Waehlens, Martineau, Vezin) montre que le terme n’est jamais traduit par langue, mais par parole ou langage, cachant par là même que le travail de Heidegger est un travail à partir de ce concept.

[22] Dans d’autres linguistiques, que je ne peux analyser ici, la 3ème personne est au contraire la personne fondamentale. Tradition d’analyse du il impersonnel ou unipersonnel de Guillaume, reprise par Gérard Moignet qui la baptise "personne d’univers", et, pragmatiquement, par Alain Berrendonner qui pense que "la langue ne lui permet pas de se manifester autrement que par le néant" ce qui en fait "un déictique de l’ordre des choses" (cf. Jean Cervoni, L’énonciation, PUF, 1987, pp. 30-35). Il est remarquable que le métalangage de description soit du côté du cosmique, univers, néant, et ordre des choses. Convergence avec Heidegger au moins dans la désubjectivation de l’usage grammatical de la personne.

[23] A. Kelkel, La légende de l’être, Langage et poésie chez Heidegger, p. 210, note 5, cité p. 297.

[24] Cette dimension anti-universelle est, me semble-t-il, une des conséquences fortes que découvre ce livre, conséquence d’un statut du langage réduit à la langue, et à une langue-essence et essence du sens : "on ne peut pas plus durement que lui confisquer la pensée dans la langue pensante. C’est-à-dire pousser à une crise de l’universel" (p. 344).

[25] Pour Heidegger, dans le livre de 1914, le sens du sens est dans la copule est dont la "valeur" est "la forme de réalité" (cité p. 340). Je note que la thèse sur Duns Scot et le langage a été accueillie négativement par Walter Benjamin dès 1920 : "Ce livre ne touche pas à la philosophie du langage de Duns Scott (sic) d’un point de vue philosophique ; le travail qui reste à faire n’est pas min ce", Lettre à Scholem, 1.12.1920, Correspondance, tome I, 1910-1928, Aubier, 1979, p. 227.

[26] Je renvoie à toute l’analyse de détail pp. 316-318. Ulysse se cache bien pour pleurer (ce que ne reconnaît pas Beaufret), et seul Alkinoos, près de lui, l’entend, mais ne le voit pas - comme on le voit dans les deux vers suivants. Beaufret isole un vers, et un sens du mot aletheia qui fait problème.

[27] Henri Meschonnic donne le champ sémantique de aletheia et de lethe d’après le Dictionnaire étymologique de Chantraine et le Lexique de Platon de ces Places, donc, note-t-il lui-même d’un vocabulaire "employé après Homère" (p. 318). Dans son livre La mémoire et l’oubli dans la pensée grecque jusqu’à la fin du Vème siècle av. J.-C., Les Belles Lettres, 1982, Michèle Simondon analyse l’aletheia pour Hésiode - citant Detienne qui en fait dans Les Travaux et les Jours une "rigoureuse observation des dates", opposée à l’oubli de ces dates, cité note 9, p. 38 -, pour Pindare chez qui l’aletheia est "acquittement d’un devoir" et où aletheia est liée à atrekeia, l’exactitude (p. 59), mais note l’occurrence, exceptionnelle chez Hésiode lui-même, de deux vers isolés de la Théogonie, vers 27 et 28, où deux sens de la vérité coexistent, aletheia comme révélation "non-voilantdévoilant dans une connaissance indirecte" - citant, p. 112, J.-P. Levet dans Le vrai et le faux dans la pensée grecque archaïque, Les Belles Lettres, 1976 - etetumos "identité entre une certaine présentation du réel et de la réalité elle-même (id.). Y a-t-il projection chez Beaufret à partir d’un sens pré-homérique ? le livre ici les éléments de la discussion. La projection et l’oubli des vers suivants semble de toute façon indiscutable.