L’œuvre poétique d’Henri Meschonnic (1932-2009) depuis Dédicaces proverbes (Gallimard, 1972) jusqu’à De Monde en monde (Arfuyen, 2009) est un furieux démenti de tout ce qui réduit la poésie à une forme, une manière ou un style et encore plus à une célébration. Prenant appui sur l’opposition formulée par Mallarmé entre le nommer et le suggérer, elle oblige à penser le poème comme un acte éthique : tout poème s’il fait « l’articulation la plus forte entre une forme de vie et une forme de langage » est un poème-relation. C’est pourquoi, une telle œuvre, souvent à contre-époque, invente une relation singulière à son temps, de la guerre d’Algérie au monde fracturée d’aujourd’hui en passant par ce qui ne passe pas (l’extermination des Juifs par les nazis et bien d’autres événements parfois « anodins » qui font le présent de chacun). Emportant « chaque histoire qui passe / toutes les vies des autres », cette première relation est portée par une politique du poème qui invente une seconde relation ou une relation à la puissance deux par l’historicité radicale de son écriture qui en constitue la modernité. L’œuvre de Meschonnic comme toutes les œuvres qui comptent est en effet un opérateur de transformation de toute relation : passage de voix, de voix dans la voix, une telle œuvre fait l’épopée de la voix par et dans sa pluralité interne comme, ce que Meschonnic a désigné dans un de ses derniers livres, une Parole rencontre (L’Atelier du grand tétras, 2008).
Aussi, l’enjeu premier de l’œuvre de Meschonnic consiste-t-il à tout faire contre la célébration de la Poésie qui est ce qu’il y a de pire, quelles que soient les époques, pour empêcher que le poème – en écriture comme en lecture – engage. Non au sens d’une défense et illustration de quelque idée, y compris de quelque bonne idée ou bon sentiment, mais au sens d’une aventure de la pensée qui ne peut-être qu’une invention de pensée comme invention dans et par le langage de relation, de sujet-relation, d’un inédit et peut-être plus encore d’un « inédire ». C’est à ce point que l’on peut toujours dans les circonstances de la lecture engager ce qui engage dans l’œuvre de Meschonnic pour ce qui nous concerne aujourd’hui. Exemplairement : un « je-tu » amoureux qui défait les termes de la relation pour entraîner société et cosmos dans une érotique généralisée ou les essentialisations de toute nomination sont refusées. Seuls, l’appel, la reconnaissance, l’attente et l’inconnu dans un incessant passage des voix et des visages, des pierres et des arbres, des nuits et des jours, semblent à même d’y inventer une relation inouïe de « je » en « tu » vers un « nous ». Puisque « je suis plus nous que moi » (De Monde en monde, p. 90), alors « je suis ensemble » (p. 79) : un tel poème n’est pas seulement engagé, il engage la relation contre la célébration !
Merci ! L'inouï, l'inconnu, mais un inconnu qui renvoie au vivant, à un vécu intérieur...c'est cela qui fait que les poèmes d'HM comme "Nous le passage" ou "Légendaire chaque jour"m'ont appelé profondément, cet homme nous aide en quelque sorte à nous accueillir et à accueillir le monde et l'autre dans sa poésie même...dans l'inouï, dans le possible, et ce mouvement nous libère de la glace morte du langage social, qui n'est plus langage mais conventions.....voilà comment je comprends sa poésie, un instinct salvateur et libre qui me rejoins et que je rejoins là ou je suis (ou qui m'enporte avec elle dans un rêve qui n'est pas un rêve mais une sorte d'acte d'insoumission) et me réjouis, moi qui ne suis pas universitaire mais sensible et les yeux ouverts ...:-)
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