Cet article rédigé par Francis Jacques (né en 1934) provient de l’Encyclopédie philosophique universelle, III : les œuvres philosophiques, tome 2 (sous la dir. de Jean-François Mattéi), Paris, PUF, 1992.
MESCHONNIC Henri né en 1932 Né à Paris en 1932. On ne peut séparer l’activité du poète de celle du traducteur et du théoricien du langage. Depuis les premières recherches de lexicologie et de lexicographie où il collabore au Dictionnaire du français contemporain (1967), et le travail empirique (toujours en cours) de traducteur de la Bible : Les Cinq rouleaux (1970) Jona et le signifiant errant (1981), Henri Meschonnic mène de front une aventure poétique – cinq livres de poèmes jusqu’ici, dontDédicaces, proverbes (1972), prix Max Jacob, Voyageurs de la voix (1985, prix Mallarmé –, une réflexion sur la théorie de la littérature par l’analyse des textes et une élaboration originale en théorie de la traduction dans les cinq volumes de Pour la poétique (1970-1978). C’est ici que ce professeur de linguistique à l’Université de Paris-VIII qui a dirigé plusieurs numéros spéciaux de revues, dont Langue française (no 51, 1981) sur la traduction, rencontre les textes philosophiques, singulièrement ceux de Humboldt. Après avoir montré la nécessité de recourir à la poétique pour les traduire, Meschonnic s’interroge sur l’implication réciproque entre la théorie de la littérature et la théorie du langage. En 1975, il publie Le signe et le poème qui aborde ainsi une critique bien personnelle du statut du langage en philosophie et dans les sciences sociales.
Critique du rythme. Anthropologie historique du langage 1982
Ce livre opère une double critique de la théorie du signe et de la notion traditionnelle de rythme. Un de ses apports nouveaux à la théorie du langage concerne le rappel de la voix et de l’oralité, qu’il étend à la considération du rythme. Henri Meschonnic, dans la continuité de Humboldt et selon des suggestions restées vagues chez Benveniste, propose une nouvelle conception du rythme comme organisation du sujet dans le discours et paramètre essentiel de l’historicité discursive. L’auteur part de la notion de rythme chez Héraclite comme organisation du mouvant, au lieu de la notion d’alternance régulière et de symétrie, mise en place par Platon. L’application de la continuité au discours permet de renouveler tant le sujet que le discours. Ce déplacement notionnel touche à l’ensemble des présupposés du sens, selon Meschonnic, en histoire, sociologie et psychanalyse. L’analyse en chaîne ainsi entamée se veut une réponse critique de l’École de Francfort. Elle élabore une pensée du continu des rapports entre langage et culture, langage ordinaire et littérature, individu et société, à l’inverse de la pensée discontinuiste du signe aggravée par le structuralisme et la sémiotique. A travers des analyses concrètes qui empruntent à plusieurs domaines culturels, s’expose d’une manière organique (à la différence d’autres tentatives plus éclectiques comme celle d’Habermas) la tâche d’une anthropologie de la voix, de l’oralité. Celle-ci donne son amplitude éthico-politique maximale à la théorie du langage dans la société.
La théorie du langage pour Henri Meschonnic passe donc par une critique du structuralisme et de la sémiotique. Comme Benveniste, il opère une relecture de Saussure. Mais ici l’arbitraire du signe apparaît comme historicité radicale du discours. A lire “ La nature dans la voix ”, qui introduit sa réédition au Dictionnaire des onomatopées de Charles Nodier, on s’aperçoit que Meschonnic tire systématiquement les conséquences épistémologiques du rapport entre la notion de discours et la notion de rythme comme organisation du sujet parlant.
(F. Jacques)
u Pour la poétique I, Paris. Gallimard, 1970. — Les Cinq rouleaux (Le chant des chants, Ruth, Comme ou Les Lamentations, Paroles du Sage, Esther), trad. de l’hébreu, Paris, Gallimard, 1970. — Dédicaces, proverbes (poèmes), Paris, Gallimard, 1972. — Pour la poétique II : Épistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction, Paris, Gallimard, 1973. — Pour la poétique III : Une parole écriture, Paris, Gallimard, 1973. — Le signe et le poème, Paris, Gallimard, 1975. — Dans nos recommencements (poèmes), Paris, Gallimard, 1976. — Pour la poétique IV Écrire Hugo, Paris, Gallimard, 2 vol., 1977. — Pour la poétique V : Poésie sans réponse, Paris, Gallimard, 1978. — Légendaire chaque jour, Paris, Gallimard, 1979. — Jona et le signifiant errant, Paris, Gallimard, 1981. — Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Paris, Verdier, 1982. — “ La nature dans la voix ”, intr. à C. Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, Paris, Éditions Trans-Europ-Repress, 1984. —Voyageurs de la voix (poèmes), Paris, Verdier, 1985. — Les états de la poétique, Paris, puf, 1985. — “ Mallarmé au-delà du silence ”, intr. à Mallarmé, Écrits sur le livre, Paris, Éditions de l’Éclat, 1986. - Le langage Heidegger, Paris, puf, 1990.
l “ Rencontre avec Henri Meschonnic ”, Les Cahiers de Poésie-Rencontre, no 14-15, sept. 1985.
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