Meschonnic, homme libre
Lodève, les Voix de la Méditerranée. Été 2008. Je viens d’écouter Jean-Yves Masson s’entretenir avec Henri Meschonnic. Riche de quelques questions, je le croise sur le stand de l’Atelier du Grand-Tétras qui publie la revue Résonance générale qui lui a consacré son numéro 1. Philippe Païni, Daniel Leroux, Laurent Mourey et Serge Martin, à qui j’ai emprunté le titre de cet article, en sont les rédacteurs. Je le retrouve ensuite sur le stand de la revue Faire part aux côtés d’Alain Chanéac et Alain Coste, qui la dirigent et qui viennent de publier, après un Jacques Dupin, matière d’origine, le poème Meschonnic. À ma proposition d’un entretien à paraître dans nos colonnes courant 2009, il répond, sans hésitation et avec enthousiasme, favorablement. J’allais engager l’échange quand la ramasseuse de sarments est entrée hors saison dans ses vignes. Henri Meschonnic est mort le 8 avril. Lui qui fut toujours homme de chantier, toujours à l’avant de lui-même, aventurier de la voix dans le poème, le voilà comme habitué à lui-même, à ses oeuvres.
Si « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience », selon les mots de René Char, alors Henri Meschonnic mérite les deux, par-delà toutes les polémiques et les inimitiés. Il est vrai que l’homme eut parfois la plume dure et le mot acéré pour nombre de ses pairs. Et ils sont nombreux car cet enseignant, professeur de linguistique et de littérature à Lille d’abord puis à Paris-VIII développa une oeuvre critique - critiquer fut toujours pour lui conduire une réflexion sur ce qu’on ne connaît pas - considérable toujours en rupture avec les discours institués ou les modes tant sur le plan des essais - comment ne pas citer son Pour la poétique IV, Écrire Hugo (1977) ou son Langage Heidegger (1990) - que sur celui des traductions - celles qu’il entreprit de la Bible, dès 1970 avec les Cinq Rouleaux sont demeurées célèbres.
Sa grande originalité et ce qui donne cohérence à cet immense chantier fut de le développer à partir du poète qu’il entendait être depuis ses Dédicaces Proverbes (Gallimard, 1972) au tout récent De monde en monde, paru en janvier dernier aux éditions Arfuyen. Ce poète n’écrivait pas des poèmes, il était celui que les poèmes faisaient. Avec Henri Meschonnic, le poème passe devant, la poésie derrière. Entendons-nous, la poésie quand elle n’est que cet amour de la poésie qui « produit des fétiches sans voix » avec quoi malheureusement, selon lui, on confond la poésie.
Avec Henri Meschonnic, le poème ne célèbre pas. Ne décrit pas. Ne nomme pas. Le poème est intervention - je ne peux m’empêcher d’entendre le « fini, maintenant j’interviendrai » d’Henri Michaux ! - ce qui suppose coupure et transformation. À Henri Meschonnic, on doit cette définition du poème : « Il y a poème seulement si une forme de vie transforme une forme de langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie. » Alors le poème, cet acte de langage qui toujours recommence, ce rythme particulier qu’il est rend visible notre rapport au monde. Là est le grand apport d’Henri Meschonnic : avoir pris le parti du rythme - Critique du rythme (Verdier, 1 982), la Rime et la vie (Verdier, 1990, repris en 2006, collection Folio), Politique du rythme, politique du sujet (Verdier, 1995)… - le parti du sujet. Celui du continu tant le rythme, selon lui, contient à la fois l’objet et le sujet, le monde et l’artiste. « Subjectivation maximale du langage », le poème est rythme. Il est l’oralité même, la voix comme « mode de signifiance » du langage dans l’écrit comme dans le parlé. Le poème donne plus à entendre qu’à voir. Il donne à entendre ce que les mots ne peuvent pas dire, ce continu d’un sujet. Là se fait le partage : de sujet à sujet - « Je parle, écrit Henri Meschonnic dans De monde en monde, / pour partager le silence / qui pousse tous les mots (…) pour transformer le silence / c’est ainsi qu’on s’entreparle ».
Cette théorie du rythme et du sujet rend indissociable poétique, éthique et politique. Le poème - l’oeuvre d’art en général - est acte éthique et politique. Comme tel il transforme le sujet qui le fait et le sujet qui le reçoit. Pour cela, Henri Meschonnic pensait que les poèmes étaient susceptibles d’être entendus par chacun et que mettant en jeu le langage - ce qu’on en sait comme ce qu’on en fait - il mettait en jeu la société elle-même. Henri Meschonnic ne s’est pas contenté de faire parti du monde - « on n’écrit ni pour plaire ni pour déplaire, écrivait-il, mais pour vivre et transformer la vie » - il sut y être présent. Et une présence, cela s’impose, s’expose. Et dérange. Comme un coup de vent. S’il déchire, il éclaire le paysage. À chacun d’aller vers ce qu’il ne connaît pas !
Alain Freixe
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