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On peut voir le descriptif à cette page :
http://www.odilejacob.fr/0207/1425/Rythme-et-la-Lumière.html#1425
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Compositeur : Manuel COLEY Auteur du texte : Henri MESCHONNIC (1932-2009) Réference ACJ : ACJ 53 0042 Langue : français Instruments : piano, percussions Nombre de pages : 36 Date de publication : 2009 Cette suite chorale mêle le parlé, le chanté, accompagné au piano ou avec des percussions (crotales, marimba, xylophone, carillon, boomhawkers) dans une écriture à 1 ou 2 voix. La tessiture est très adaptée aux voix d’enfants et l’écriture très poétique permet de familiariser les jeunes chanteurs aux diverses formes d’expression contemporaine. Manuel COLEY définit ainsi sa démarche de compositeur et son approche de l’œuvre poétique d’ Henri MESCHONNIC : “Le génie de la poésie d’Henri MESCHONNIC consiste à traiter les questions les plus essentielles de la vie de l’homme au sein des formes poétiques les plus courtes, en utilisant le langage le plus courant (sans titre, ni majuscule, ni ponctuation) et à s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux adultes, aux plus intuitifs comme aux plus “lettrés”. Cette poésie est toute entière l’éloge du simple. |
Manuel Coley, chef de choeur, compositeur
Artisan-musicien, chercheur autodidacte.
Il a été chargé de cours de chant choral et de direction de chœur à la faculté de musicologie de Poitiers de 1996 à 2002, au Centre de Formation des Musiciens Intervenants (CFMI) de Poitiers et au Centre d'Etudes Supérieures de Musique et Danse (CESMD) de 1999 à 2003 ainsi que dans diverses structures de formation professionnelle (IFAS Martinique, mission voix Ile de la Réunion...).
Il a travaillé au développement des pratiques chorales adultes amateurs en tant que conseiller technique et intervenant (Association Musique et Danse en Poitou-Charentes, "A Cœur Joie Poitou-Charentes", Association pour le Développement de la Musique et de la Danse en deux sèvres) et que chef de choeur et directeur artistique (Chœur de Chambre des Deux-Sèvres, ensemble vocal mixte Modus Novus, chœur féminin Amadis, Chœur de l'Université de Poitiers).
Après plusieurs voyages en Europe du Nord et après être devenu père de famille, il consacre toute son activité artistique et pédagogique au projet« Voie d'enfance » à l'Abbaye aux Dames de Saintes : projet dédié au développement des pratiques vocales collectives des enfants, à l'expérimentation pédagogique et à la création de répertoire pour chœur d'enfants ainsi qu'à la recherche de nouvelles formes de prestations.
Parallèlement, il développe depuis 2000 une activité de compositeur pour différents types de choeurs, a capella ou accompagnés, par le biais de commandes de diverses structures de développement culturel de la région Poitou Charentes, de la Région Centre, ou des Pays de Loire. Ce travail est édité ou en cours d'édition principalement aux éditions Auguste ZURFLUH au sein desquelles il est directeur de la collection de chant choral « Chanter Ensemble ».
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Henri Meschonnic, Heidegger ou le national-essentialisme, Éditions Laurence Teper, 200 p., 14 €
Henri Meschonnic ne peut écrire autrement que comme il écrit et cela peut déplaire ! C’est que s’il écrivait comme écrivent beaucoup aujourd’hui il ne pourrait penser ce qui plombe la pensée et l’écriture de bien des penseurs mais aussi écrivains, poètes aujourd’hui depuis déjà longtemps. Car le ciel et la terre de la pensée sont plombés par Heidegger qu’on ne sait pas lire puisque les heideggériens en France empêche même de le lire – mais Meschonnic montre qu’il n’y a pas qu’en France. Et le lire, c’est tout simplement observer que Heidegger maximalise, pousse à leur maximum une série d’essentialismes qui tiennent l’un par l’autre dans la logique du réalisme – d’où certainement la beauté de cette puissance qui soit méduse et oblige au psittacisme formulaire soit insupporte et conduit à l’anathème sans considérer ce qui est en jeu. Car ce qui est en jeu pour Meschonnic, c’est de comprendre les effets éthiques et politiques d’un débat qui n’est pas à renvoyer au Moyen Age ou à réserver aux spécialistes de la logique philosophique mais bien de faire de ces deux notions, réalisme et nominalisme, « un critère pour s’y retrouver » (p. 11). Pourquoi ? parce que « la réalité profonde des débats est entre le sens des individus, des vivants, et la massification qui ne permet pas de penser le sujet. Rejeté au psychologisme » (p. 16). Et quant au réalisme logique, Heidegger s’y connaît puisqu’il « a une phobie du sujet, d’où chez lui une essentialisation généralisée » (p. 17). Aussi, de ce point de vue, Heidegger n’est pas à réserver aux philosophes mais sa « mondialisation, qui inclut et déborde la France » est certainement « facilitée par toutes les autres mondialisations, en particulier celle des techniques de communication, qui tendent à globaliser, à massifier. À faire qu’on ne pense pas le langage, réduit à la communication » (p. 19). Hypothèse cruciale pour lire ce livre et aller jusqu’à sa lecture-traduction du texte Le Danger, de 1949 où Heidegger accomplit « l’essentialisation maximale » et « la vraie solution finale » non achevée par les nazis.
Ce livre est beaucoup moins épais que Le Langage Heidegger (PUF, 1990) qui, à ma connaissance, était la première tentative de lecture au plus près des textes, de Heidegger, et reste à ce jour la seule malgré le silence assourdissant des philosophes officiels. Aussi Meschonnic ne reprend-il ici que cette conférence de 1949 connu seulement en 1994 qu’il lit au plus près. De ce point de vue, le livre d’Emmanuel Faye (Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, Albin Michel, 2005) malgré tout son intérêt est-il « insuffisant » (p. 147) car ce n’est pas par « simple inhumanité, que Heidegger n’a même plus besoin de nommer les Juifs. Ils sont inclus en même temps qu’ils disparaissent dans et par son national-essentialisme » (p. 150), propose Meschonnic. Plus précisément, « par l’essentialisation généralisée de l’Être et de la Mort ». Et il suffit de lire Heidegger sans « fabriquer du compliqué là où Heidegger est simple » (p. 157) comme fait le « jargon heideggérianisant » qui « masque l’essentialisme » et donc la désuhumanisation qu’il opère. Jargon du collectif de « philosophes » qui veulent penser Heidegger à plus forte raison (Fayard, 2007) mais qui « sont tellement dans l’essentialisme qu’ils ne le voient plus » (p. 165).
Ce livre de Meschonnic soulève la chape de plomb des années Heidegger en France mais également combat le réalisme logique qui empêche de penser, de penser le langage parce que sans cette attention qui est une éthique de la pensée, c’est toujours le vieux réalisme logique qui triomphe, c’est-à-dire, « l’ennemi de la vie, des vivants » (p. 173). Cet ouvrage poursuit donc une enquête sur le réalisme logique avec Heidegger en intégriste (p. 148), en « grand scolastique » (p. 133). Mais l’enquête est d’abord « un combat du nominalisme des vivants contre le théologico-politique » (p. 30) partout où il crève les yeux. Dans cette enquête, il y a le test de ce qu’on fait à la Bible (une origine ou un fonctionnement ?) et celui du religieux qui l’emporte sur le divin ou pas, faisant place ou pas à « une vie humaine » (Spinoza) contre le théologico-politique (p. 85), organisant ou pas une substantialisation qui conduit à poser l’universel comme un modèle abstrait quand « seul le singulier chaque fois est l’universel » (p. 81). Alors on peut en vouloir à Meschonnic de ses « minuties » (p. 124) mais on est bien obligé de relire de plus près ceux qu’ils passent au crible du « vieux débat » d’une actualité vitale, chapitre après chapitre : Levinas, Jaspers, Husserl, Gadamer, Leo Strauss, Hannah Arendt, Agamben mais aussi Jean-Claude Milner et enfin Alain Badiou ou encore Marlène Zarader et il y a aussi Voltaire. Cette enquête est large, trop ambitieuse diront certains, mais elle montre un ensemble qui fait système et pointe comment cette configuration de pensée n’est pas l’addition de spécialités régionales ou de propositions locales mais bien autant d’éléments qui participent à « l’impensé des effets éthiques, politiques et poétiques du réalisme logique » (p. 114), et qui contribuent tous pour une part à l’« effacement de l’effacement opéré par la théologie chrétienne, et l’intégrisme essentialiste du langage chez Heidegger » (p. 138). Si l’enquête parvient à montrer ce fonctionnement qui fait système, imposant le réalisme en effaçant sa pensée même et par là celle du nominalisme, c’est qu’elle passe par le rappel inlassable du primat de la théorie du langage qui elle-même oblige à la critique du signe, à la critique de ce qu’on ne voit même plus et surtout de ce qu’on n’entend plus. C’est bien pour cela que Meschonnic ne peut écrire autrement que comme il écrit et que cela passe pour inacceptable. Mais la pensée et le poème de la pensée demandent plus que des pours et des contres ; ils demandent de « penser l’interaction langage-poème-art-éthique-politique » (p. 9). Ce que poursuit un autre ouvrage de Meschonnic, Ethique et politique du traduire (Verdier, 190 p., 15€). Il y a dans ce livre un climat qui répond à ce que disait Etienne Dolet en 1540 : « sans grande observation des nombre un grand Autheur n’est rien » (cité p. 114) puisque, en 16 points, il reprend « chaque fois sous un angle différent » (p. 99, note 1) ce principe de l’interaction contre tous les essentialismes et les théologismes. Lesquels empêchent de transformer toute la théorie du langage dans et par l’activité de « traduire », dans et par « une éthique et une politique du traduire » qui engagent à « avoir du poème dans la voix » (p. 151). Et avec de tels livres, on est fixés : si « personne n’a tout à fait la même voix » (ibid.), celle de Meschonnic n’est pas faite de « bois mort », de « bois extrêmement habitué », pour reprendre à Péguy (cité p. 151). Et alors on constate que les « habitués » ne peuvent supporter cette voix : on devrait en rire ne serait-ce que pour rappeler que « ce qui est dit n’est pas séparable du mouvement avec lequel c’est dit, comme ce que vous donnez n’est pas séparable de la manière dont vous le donnez, et alors on n’est plus dans le discontinu de la forme et du sens, on est dans le continu d’une physique du langage. C’est le poème de la pensée » (p. 154). Par là, ces deux livres font bien un poème de la pensée-relation.
Serge Martin
On pourra lire celle concernant Dans le bois de la langue à cette adresse: http://martin-ritman-biblio.blogspot.com/2010/01/henri-meschonnic-dans-le-bois-de-la.html
Fondateur de La Marelle, chef de chœur, compositeur, musicien intervenant, et directeur d’une école de musique, Raphaël Terreau est titulaire du DUMI et d’une Maîtrise de Musicologie (Langage Musical et Musique de la Langue). En parallèle, il pratique le chant diphonique, l’écriture poétique et la sculpture. Il est par ailleurs animateur BAFA (spécialité : Arts du Cirque et Spectacle de Rue), et poursuit une formation d’Intervenant Spécialisé en Art-thérapie.
Henri Meschonnic, de son propre aveu, écrit pour " respirer dans l'irrespirable " (p. 256), entendez dans le monde inhabitable de la poésie contemporaine : cette dernière formule aurait pu être la sienne, dans ce livre du refus et de l'accusation, notamment à l'encontre du discours heideggérien sur l'habitation poétique du monde. Il s'agit donc d'un livre polémique, malgré les déclarations de l'auteur en introduction : la position de H. Meschonnic dans la théorie et la pratique de la poésie des vingt dernières années est affirmée avec une force péremptoire, à coup de formules parfois efficaces, souvent agaçantes. Et l'entreprise vise à dénoncer les fausses représentations et les " faux poèmes ", sans argumenter pleinement ses propres postulats. En outre, la progression de l'ouvrage n'est pas très claire, puisque trois chapitres sur quatre (" Un poème pour transformer la pensée ", " Situations de la poésie contemporaine " et " Permanence et transformations des impostures de la poésie : Roger Caillois aujourd'hui ") reprennent des interventions à des colloques datant de 1998 et 1999, où sont abordées des questions similaires. Dans le dernier chapitre, " Le veau dort ", la démonstration se fait plus pédagogique : l'auteur se livre au jeu de l'explication de texte en faisant figurer des exemples de poèmes qui, selon lui, n'en sont pas. D'autre part, il aborde des questions " extrêmement " contemporaines, comme la résurgence théorique des notions du lyrisme et du sublime.
Il ne s'agit pourtant pas d'éluder les questions que pose H. Meschonnic à la pensée du poème, surtout lorsqu'il estime celle-ci " nécessaire au langage et à la société " (p. 256), et que ces interrogations, il faut bien l'admettre, dévoilent certains présupposés intenables des représentations les plus largement partagées. Tout commence avec la définition des mots " poésie " et " poème ". H. Meschonnic relève dans les dictionnaires deux sources de confusion : d'abord " l'impensé d'une distinction entre la valeur et la définition " (p. 20), entre la poésie comme qualité absolue et le produit ; ensuite, " la présupposition banale du signe comme séparation d'une forme et d'un contenu ". Cette dernière apparaît dans les fausses définitions de la poésie comme forme, comme genre, ou à l'inverse dans la notion de " poésie pure " chez Valéry, qui sépare l'affect et le concept. H. Meschonnic tranche en choisissant d'accorder une place centrale à la notion de valeur : " Penser le poème, c'est penser la valeur. " (p.33). Et il définit la valeur comme la capacité à continuer d'agir dans le présent de toute situation historique. C'est cette activité qu'il nomme la poésie, et que tout poème réinvente.
Une telle définition a des répercussions massives sur les conditions d'écriture d'une histoire de la poésie. On peut même se demander si elle est encore possible, quand tout poème véritable recrée la poésie, et quand l'histoire de chaque poème, qui ne cesse d'agir, ne cesse de s'écrire ? D'où le paradoxe assumé par H. Meschonnic : on n'est jamais mieux placé que dans le présent pour en faire l'état des lieux poétique. En effet, la modernité se définit selon lui comme " la faculté de rester actif sur le présent " (p. 84). La nécessité de la distance critique, de la mise en perspective, n'a plus de sens. Les notions même de " contemporain " et de " courant " " tendent au cliché " (p. 95). Le corollaire de cette vision de l'histoire consiste sans doute chez H. Meschonnic à dater impitoyablement les représentations de la poésie qu'il rejette. Le mot " vieillerie " est le plus méchant sous sa plume. Une pensée ancienne qui veut se faire passer pour neuve commet un péché capital. Mais la modernité d'Aristote contre ces " vieilles nouveautés " est aussi son argument favori. Il faut que la pensée, comme la poésie, soit " un perpétuel commencement " (p.101). Il emprunte la formule à Bernard Noël. La modernité est le contraire du passager, et donc du contemporain. La proposition " La modernité ne s'oppose pas au passé : la modernité est un universel " (p.171) constitue la pierre d'achoppement d'une histoire de la poésie moderne. Henri Meschonnic rejette les notions sur lesquelles Hugo Friedrich (Structures de la poésie moderne, trad. fr. de 1999, Le Livre de poche) s'appuie pour l'écrire : la rupture, l'obscurité, la distanciation, la transgression des académismes.
La deuxième source de confusion dans les définitions courantes et les pratiques de la poésie réside dans la prégnance du schéma du signe. Selon H.Meschonnic, " l'art commence là où le signe finit " (p. 235). L'entreprise même d'une sémiotique poétique, théorisée par A..-J. Greimas en 1982 dans Essais de sémiotique poétique (Librairie Larousse, Paris) est présentée comme vaine au nom de " l'impensé du langage qu'est le continu " (p.156). Il affirme que le langage poétique ne se distingue pas du langage courant au vu des outils de la sémiotique tels que A..-J. Greimas les définit, à savoir les corrélations et les écarts entre " le plan de l'expression et le plan du contenu " (A..-J., Greimas, p. 7). Hanté par la séparation du signifiant et du signifié, sans voir que la sémiotique travaille justement sur la productivité de leurs relations, H. Meschonnic en fait une fatalité pesant sur la pensée contemporaine de la poésie : il y aurait d'un côté les faux poètes et théoriciens de la forme et de l'autre, ceux du sens. Et l'auteur, qui s'insurge contre la tendance dualiste de la pensée contemporaine, n'hésite pas lui-même à opposer le camp du " ludique ", incarné par Jacques Roubaud et celui de l'essentialisation heideggérienne, représenté par Yves Bonnefoy. H. Meschonnic avance une série d'arguments contre la poésie à contraintes, centrée sur la définition formaliste de la poésie qui la sous-tendrait. Et cette définition, hyper-traditionnaliste, excluerait " l'aventure du sujet " (p.119) " qui a toujours fait la nécessité de la poésie ". H. Meschonnic préfère à la contrainte extérieure " la contrainte intérieure " : la distinction est peut-être illusoire, et il faudrait définir la deuxième.
Quant à l'héritage de Heidegger, H.Meschonnic le décèle dans les métaphores de René Char sur l'activité poétique comme dans l'herméneutique de Derrida, en passant par la poésie référentielle de Francis Ponge. Les principaux tenants de cette " idéologie " sont, du côté des poètes, Michel Deguy, Philippe Jaccottet et Yves Bonnefoy, et du côté des critiques, Michel Collot (La Poésie moderne et la structure d'horizon, PUF, 1989), Jean-Claude Pinson, (Habiter en poète, Essai sur la poésie contemporaine, Champ Vallon, 1995), Christian Prigent (À quoi bon des poètes ? P.O.L., 1996), et Jacques Derrida (" Comment nommer ", dans le Cahier Michel Deguy, Le poète que je cherche à être, le Table ronde / Belin, 1996). Henri Meschonnic vise l'ensemble des concepts repris aux analyses d'Heidegger dans Approche de Hölderlin notamment (Gallimard, 1962) : c'est " l'essence de la poésie ", qui est déterminée comme " fondation de l'être par la parole " (Heidegger, p. 52), au sens d'une " libre donation " (p. 53) par le " dire du poète ", qui consiste dans " la nomination des dieux et de l'essence des choses " (p. 54). Alors l'homme peut " habiter poétiquement cette terre " (Hölderlin), ce que Heidegger glose ainsi : " se tenir en la présence des dieux et être atteint par la proximité essentielle des choses ". (p. 54). Or les dieux, ou l'être, advenant comme " voilement-dévoilement ", le nom lui-même doit être " voilant-dévoilant " (Heidegger, p. 249), c'est-à-dire obscur et sacré. Pour H.Meschonnic, ces métaphores spatiales et visuelles, que complètent celles du visible/invisible et celle de la structure d'horizon, sont inefficaces pour penser la poésie : " Non au voir pris pour entendre " (p. 253), écrit H. Meschonnic dans le chapitre qui sert de conclusion au livre : " Manifeste pour un parti du rythme ". " C'est l'écoute, c'est l'oralité comme forme-sujet qui font le poème. Pas la vision. Pas le visible. " (p. 67). Mais les deux dimensions ne peuvent-elles apparaître conjointement dans le poème ? Ensuite, poursuit H. Meschonnic, l'activité visuelle induit l'activité descriptive du " nommer ", platitude du poème. Ce n'est pas le " nommer " qui fait le poème mais le " suggérer ", emprunté à Mallarmé. Car le " nommer " cache une vieille illusion réaliste du langage, " tout le sacré du continu entre les mots et les choses " (p. 67), que H. Meschonnic reconnaît aussi dans la " fable originiste " de la poésie présente dans le discours d'Yves Bonnefoy. Il oublie de dire que la poésie de ce dernier se donne pour tâche incessante d'interroger l'absence des choses dans les mots. Et qu'on peut donc y entendre " l'acte de l'ineffable " qui constitue selon lui l'activité spécifiquement poétique du " suggérer " de Mallarmé.
Mais H. Meschonnic voit ailleurs que dans la " poéthique ", c'est-à-dire la poésie comprise, ou anéantie par Heidegger, la véritable éthique du poème. Il affirme que " le sacré […] est une annihilation du langage, une annihilation du sujet (et de l'éthique), une annihilation de la poésie " (p.109). La question du sujet est récurrente dans l'ouvrage. L'erreur des représentations de la poésie incriminées tient à leur attachement aux sujets psychologique ou philosophique. H. Meschonnic postule un sujet spécifique du poème dont la définition reste vague, et qui renvoie au " poème, énonciateur " de Mallarmé. C'est lui qui nous constitue tous comme sujets : " Pas de sujet sans sujet du poème ". Il faudrait interroger ce pouvoir, tout comme la distinction que H. Meschonnic fonde sur lui, entre le récit et le poème : le premier resterait dans la nomination, et donc l'acceptation-célébration de ce qui est. Il ne formerait pas une " subjectivation maximale du discours " (p. 248). Le second " ne célèbre pas, il transforme " (p. 249). Il transforme notre rapport au monde, et donc la vie elle-même, par la grâce du rythme qui est "LA forme-sujet" (p. 248), ou le mouvement de tout dont nous pouvons participer. C'est à cette fonction à la fois très simple et très générale qu'aboutit la réflexion de H.Meschonnic sur la poésie. Et il peut paraître étonnant qu'avec une vision si exigeante de la poésie, H. Meschonnic n'ait pas trouvé à respirer dans les blancs d'André Du Bouchet lorsqu'il cite des extraits de L'ajour (Gallimard, 1998) : là où il ne voit que le " vide " asphyxiant (p.197) de ce qui est dit, nous sentons le souffle du poète.
Caroline Andriot-Saillant
Doctorante à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris-IV)