Henri Meschonnic (1932-2009) est l'auteur d'une oeuvre considérable où poèmes, essais et traductions font le continu d'une théorie du langage et du rythme et d'une pratique d'écriture et de lecture pleines de vie l'une par l'autre. Ce blog offre simplement des documents à tous ceux qui de près ou de loin aimeraient continuer avec Henri Meschonnic.

dimanche 8 mai 2011

Les livres de Meschonnic publiés chez Laurence Teper à nouveau disponibles

Les éditions Laurence Teper ayant cessé leurs activités, on a pu regretter l'indisponibilité des ouvrages de Henri Meschonnic publiés chez cet éditeur. Malgré la disparition regrettable de cet excellent éditeur - on aimait tout son catalogue, on pourra dorénavant retrouver les trois livres de Meschonnic suivants aux éditions Corlevour (Réginald Gaillard): Dans le bois de la langue ; Heidegger ou le national-essentialisme ; Le Nom de notre ignorance. La Dame d'Auxerre.
On peut les commander à cette adresse :
http://www.corlevour.fr/spip.php/ecrire/IMG/cache-108x150/spip.php?article648

Je me permets de rappeler une note de lecture publiée dans la revue Europe, n° 948, avril 2008, p. 373-375 (fac-similé à cette adresse: http://martin-ritman-biblio.blogspot.com/2010/02/henri-meschonnic-heidegger-ou-le.html) dont le texte est ci-dessous :

Henri Meschonnic, Heidegger ou le national-essentialisme, Éditions Laurence Teper, 200 p., 14 €

Henri Meschonnic ne peut écrire autrement que comme il écrit et cela peut déplaire ! C’est que s’il écrivait comme écrivent beaucoup aujourd’hui il ne pourrait penser ce qui plombe la pensée et l’écriture de bien des penseurs mais aussi écrivains, poètes aujourd’hui depuis déjà longtemps. Car le ciel et la terre de la pensée sont plombés par Heidegger qu’on ne sait pas lire puisque les heideggériens en France empêche même de le lire – mais Meschonnic montre qu’il n’y a pas qu’en France. Et le lire, c’est tout simplement observer que Heidegger maximalise, pousse à leur maximum une série d’essentialismes qui tiennent l’un par l’autre dans la logique du réalisme – d’où certainement la beauté de cette puissance qui soit méduse et oblige au psittacisme formulaire soit insupporte et conduit à l’anathème sans considérer ce qui est en jeu. Car ce qui est en jeu pour Meschonnic, c’est de comprendre les effets éthiques et politiques d’un débat qui n’est pas à renvoyer au Moyen Age ou à réserver aux spécialistes de la logique philosophique mais bien de faire de ces deux notions, réalisme et nominalisme, « un critère pour s’y retrouver » (p. 11). Pourquoi ? parce que « la réalité profonde des débats est entre le sens des individus, des vivants, et la massification qui ne permet pas de penser le sujet. Rejeté au psychologisme » (p. 16). Et quant au réalisme logique, Heidegger s’y connaît puisqu’il « a une phobie du sujet, d’où chez lui une essentialisation généralisée » (p. 17). Aussi, de ce point de vue, Heidegger n’est pas à réserver aux philosophes mais sa « mondialisation, qui inclut et déborde la France » est certainement « facilitée par toutes les autres mondialisations, en particulier celle des techniques de communication, qui tendent à globaliser, à massifier. À faire qu’on ne pense pas le langage, réduit à la communication » (p. 19). Hypothèse cruciale pour lire ce livre et aller jusqu’à sa lecture-traduction du texte Le Danger, de 1949 où Heidegger accomplit « l’essentialisation maximale » et « la vraie solution finale » non achevée par les nazis.

Ce livre est beaucoup moins épais que Le Langage Heidegger (PUF, 1990) qui, à ma connaissance, était la première tentative de lecture au plus près des textes, de Heidegger, et reste à ce jour la seule malgré le silence assourdissant des philosophes officiels. Aussi Meschonnic ne reprend-il ici que cette conférence de 1949 connu seulement en 1994 qu’il lit au plus près. De ce point de vue, le livre d’Emmanuel Faye (Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, Albin Michel, 2005) malgré tout son intérêt est-il « insuffisant » (p. 147) car ce n’est pas par « simple inhumanité, que Heidegger n’a même plus besoin de nommer les Juifs. Ils sont inclus en même temps qu’ils disparaissent dans et par son national-essentialisme » (p. 150), propose Meschonnic. Plus précisément, « par l’essentialisation généralisée de l’Être et de la Mort ». Et il suffit de lire Heidegger sans « fabriquer du compliqué là où Heidegger est simple » (p. 157) comme fait le « jargon heideggérianisant » qui « masque l’essentialisme » et donc la désuhumanisation qu’il opère. Jargon du collectif de « philosophes » qui veulent penser Heidegger à plus forte raison (Fayard, 2007) mais qui « sont tellement dans l’essentialisme qu’ils ne le voient plus » (p. 165).

Ce livre de Meschonnic soulève la chape de plomb des années Heidegger en France mais également combat le réalisme logique qui empêche de penser, de penser le langage parce que sans cette attention qui est une éthique de la pensée, c’est toujours le vieux réalisme logique qui triomphe, c’est-à-dire, « l’ennemi de la vie, des vivants » (p. 173). Cet ouvrage poursuit donc une enquête sur le réalisme logique avec Heidegger en intégriste (p. 148), en « grand scolastique » (p. 133). Mais l’enquête est d’abord « un combat du nominalisme des vivants contre le théologico-politique » (p. 30) partout où il crève les yeux. Dans cette enquête, il y a le test de ce qu’on fait à la Bible (une origine ou un fonctionnement ?) et celui du religieux qui l’emporte sur le divin ou pas, faisant place ou pas à « une vie humaine » (Spinoza) contre le théologico-politique (p. 85), organisant ou pas une substantialisation qui conduit à poser l’universel comme un modèle abstrait quand « seul le singulier chaque fois est l’universel » (p. 81). Alors on peut en vouloir à Meschonnic de ses « minuties » (p. 124) mais on est bien obligé de relire de plus près ceux qu’ils passent au crible du « vieux débat » d’une actualité vitale, chapitre après chapitre : Levinas, Jaspers, Husserl, Gadamer, Leo Strauss, Hannah Arendt, Agamben mais aussi Jean-Claude Milner et enfin Alain Badiou ou encore Marlène Zarader et il y a aussi Voltaire. Cette enquête est large, trop ambitieuse diront certains, mais elle montre un ensemble qui fait système et pointe comment cette configuration de pensée n’est pas l’addition de spécialités régionales ou de propositions locales mais bien autant d’éléments qui participent à « l’impensé des effets éthiques, politiques et poétiques du réalisme logique » (p. 114), et qui contribuent tous pour une part à l’« effacement de l’effacement opéré par la théologie chrétienne, et l’intégrisme essentialiste du langage chez Heidegger » (p. 138). Si l’enquête parvient à montrer ce fonctionnement qui fait système, imposant le réalisme en effaçant sa pensée même et par là celle du nominalisme, c’est qu’elle passe par le rappel inlassable du primat de la théorie du langage qui elle-même oblige à la critique du signe, à la critique de ce qu’on ne voit même plus et surtout de ce qu’on n’entend plus. C’est bien pour cela que Meschonnic ne peut écrire autrement que comme il écrit et que cela passe pour inacceptable. Mais la pensée et le poème de la pensée demandent plus que des pours et des contres ; ils demandent de « penser l’interaction langage-poème-art-éthique-politique » (p. 9). Ce que poursuit un autre ouvrage de Meschonnic, Ethique et politique du traduire (Verdier, 190 p., 15€). Il y a dans ce livre un climat qui répond à ce que disait Etienne Dolet en 1540 : « sans grande observation des nombre un grand Autheur n’est rien » (cité p. 114) puisque, en 16 points, il reprend « chaque fois sous un angle différent » (p. 99, note 1) ce principe de l’interaction contre tous les essentialismes et les théologismes. Lesquels empêchent de transformer toute la théorie du langage dans et par l’activité de « traduire », dans et par « une éthique et une politique du traduire » qui engagent à « avoir du poème dans la voix » (p. 151). Et avec de tels livres, on est fixés : si « personne n’a tout à fait la même voix » (ibid.), celle de Meschonnic n’est pas faite de « bois mort », de « bois extrêmement habitué », pour reprendre à Péguy (cité p. 151). Et alors on constate que les « habitués » ne peuvent supporter cette voix : on devrait en rire ne serait-ce que pour rappeler que « ce qui est dit n’est pas séparable du mouvement avec lequel c’est dit, comme ce que vous donnez n’est pas séparable de la manière dont vous le donnez, et alors on n’est plus dans le discontinu de la forme et du sens, on est dans le continu d’une physique du langage. C’est le poème de la pensée » (p. 154). Par là, ces deux livres font bien un poème de la pensée-relation.

Serge Martin


On pourra lire celle concernant Dans le bois de la langue à cette adresse: http://martin-ritman-biblio.blogspot.com/2010/01/henri-meschonnic-dans-le-bois-de-la.html

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